Le traitement prudentiel actuel des dettes souveraines dans les bilans bancaires est-il adapté ?
Il est primordial pour une banque d’avoir une allocation équilibrée de ses actifs. Être trop exposé à la dette souveraine de son propre pays est donc un risque. La directive sur les « large exposures » (directive « grands risques ») ne s’applique toutefois pas aux titres souverains. C’est un problème. Dans certains pays, les banques ont réduit cette concentration. Ce fut le cas en Belgique et aux Pays-Bas. Aujourd’hui, l’exposition des banques belges à la dette souveraine domestique n’est plus que de 40 % du total de leur exposition souveraine. Dans les nouveaux États membres, les banques locales ont par ailleurs souvent été rachetées par des acteurs d’Europe de l’Ouest et leur exposition à la dette domestique s’en trouve réduite. La situation est toutefois très hétérogène à l’échelle de l’Europe et dans d’autres pays, cette exposition dépasse 80 %. C’est le cas de Chypre mais aussi de Malte. L’Italie est également dans ce cas, pour des volumes de dette très importants. En outre, le secteur bancaire n’est pas le seul à être concerné par ce risque de concentration : les fonds d’investissement type UCITS ou les compagnies d’assurance le sont aussi.
Pourquoi est-ce difficile de réduire cette concentration ?
Les États veulent conserver ce marché d’investisseurs captifs. Si les banques nationales ne veulent plus souscrire, voire décident de vendre, la dette de leur propre pays, qui l’achètera ? Cela signifierait pour l’État concerné une hausse des taux auxquels il se finance. Dans le cas de l’Italie, ce sont des montants d’intérêt énormes qui sont en jeu. Dans le cas des pays comme Malte et Chypre s’ajoute le fait que peu d’analystes les suivent en dehors de leurs frontières. Pourtant, cette dépendance aux banques locales est très risquée : cela entretient le cercle vicieux entre État et système bancaire.
Quelles solutions peuvent être envisagées ?
Ces problèmes sont connus depuis longtemps. Des solutions de deux ordres sont proposées : l’une consisterait à augmenter la pondération de ces titres au bilan des banques pour qu’elle ne soit plus nulle ; l’autre – que nous privilégions – serait de limiter graduellement l’exposition à un souverain en forçant les banques à se diversifier. Il faudrait pour cela saisir l’occasion du quantitative easing de la BCE : au moment de revendre les titres souverains qu’elle a achetés et qu’elle détient aujourd’hui à son bilan, la banque centrale pourrait faire en sorte que les banques acquéreuses respectent un principe de diversification de leur exposition.
Quelle limite faudrait-il fixer pour l’exposition à un même émetteur souverain ?
Dans une note de recherche du CEPS [1], Willem Pieter de Groen a montré qu’une exposition limitée à 25 % des fonds propres, comme dans le cas des contreparties non souveraines, conduirait à des difficultés à allouer la dette d’État détenue par ces banques. Cela restreindrait également la capacité des banques à disposer de suffisamment d’actifs liquides pour satisfaire leurs exigences en matière de liquidité et d’appels de marge auprès des chambres de compensation. Une limite à 50 % pour ces « large exposures » dans le cas des émetteurs souverains serait plus appropriée.
Pourquoi écarter l’idée d’une pondération non nulle des titres souverains ?
Le problème est de savoir comment le faire sans pénaliser des pays dont les finances publiques sont fortement dégradées, qui sont mal notées par les agences de rating et dont les titres seraient donc plus lourdement pondérés.
Cette pondération ne pourrait-elle pas être non nulle mais rester homogène ?
Introduire une pondération égale pour tous les émetteurs irait à l’encontre de ce qui est prévu pour les autres créanciers. Cela n’aurait pas de sens. Ce type d’exemption existe déjà en Europe : les banques qui ont développé des modèles internes pour l’évaluation de leurs risques ont le choix, pour les titres souverains, d’utiliser l’approche standard afin d’économiser du capital. Cette pratique a été dénoncée par le Comité de Bâle.
Une pondération différenciée selon les pays pourrait-elle fragiliser l’intégrité de la zone euro ?
Au contraire : à long terme, cela pourrait permettre de la renforcer, en donnant aux gouvernements des incitations à mener une gestion des finances publiques saine. Mais comme je l’expliquais précédemment, les gouvernements ne seront pas favorables à un tel changement à court terme. Pousser les banques à la diversification de leurs expositions, de manière graduelle, est une meilleure solution pour éviter cette pénalisation de certains États.
Le Comité de Bâle critique l’exemption offerte par l’Europe à ses banques mais prévoit lui aussi une pondération nulle pour les dettes des États bien notés. Pourquoi y a-t-il un sujet spécifiquement sur la zone euro ?
Les règles bâloises spécifient que la pondération nulle s’applique aux dettes détenues dans la monnaie locale. Cela pénalise d’ailleurs les pays en développement et émergents qui ne peuvent pas placer leur dette au niveau local. Dans le cas de la zone euro, la dette des États membres n’est pas détenue en monnaie locale : ce n’est pas leur banque centrale qui est en charge de la politique monétaire. Ces pays ne contrôlent donc pas leur propre devise et sont donc de facto incapables de garantir le remboursement de ces dettes de la manière dont peuvent le faire des pays disposant de leur propre banque centrale.
Créer des titres communs à l’ensemble des États de la zone euro afin de diversifier les expositions dès l’émission ne pourrait-il pas être une solution, comme le proposent certains chercheurs ?
Cela reviendrait à créer un Trésor européen qui rachèterait de la dette nationale pour la titriser et la revendre au marché suivant différentes tranches de risques. Une telle solution réduirait le coût de la dette pour les pays très endettés mais augmenterait celle des autres. La pondération appliquée à ces titres serait presque nulle, même en réformant le système actuel. Cela enverrait de surcroît le message d’une union économique et monétaire irréversible. Encore faut-il que les États aient envie de le faire…
L’Union bancaire change-t-elle la donne ?
Oui si elle se traduit au niveau de la composition du bilan des banques. Si les marchés restent segmentés, le coût du risque le sera aussi : celui des banques italiennes, par exemple, restera lié au risque de crédit de l’État italien. Régulièrement, la question de la soutenabilité de la zone euro resurgit, mais je crois que l’existence de l’Union bancaire est la preuve que la situation actuelle est meilleure qu’auparavant.